L'écriture selon sève - Dramaturgie - Ecriture en marge



Entretien publié dans Parenthèse octobre 2011 – Ecriture et théâtre : réflexions 


Vous avez un parcours professionnel très diversifié, comment en êtes-vous arrivé à l’écriture et le théâtre ?  
Je suis au départ réalisatrice audiovisuelle et j’ai une formation de scénariste, ce qui m’a permis dans un premier temps de travailler pour des organismes privés et publics et de réaliser mes propres reportages. J’ai très vite intégré les associations de quartiers et les centres cultuels pour encadrer des groupes d’adolescents autour de la réalisation vidéo. 
De là une formation supplémentaire m’a été demandée, celle du BEATEP, qui me permettait d’être totalement indépendante et autonome sur des projets pédagogiques. 
C’est comme ça que j’ai découvert le théâtre, car n’en n’ayant jamais fait j’ai choisi de suivre la formation théâtre et insertion. Comme toute formation il fallait que j’effectue un stage avec une structure ou une compagnie de théâtre qui développait l’insertion par le théâtre. Le choix de la compagnie a déterminé la suite de mon parcours professionnel car j’ai rencontré une comédienne et un metteur en scène avec lesquels j’ai tout appris. 
En fait les stages, les formations et la suite de mes expériences sont liés à des rencontres. Des rencontres très riches et très révélatrices.  
Et donc l’écriture aussi ? 
Oui, en fait j’étais déjà dans l’écriture puisque j’ai suivi une formation de scénariste, et puis j’avais un peu laissé tomber faute de temps. Le théâtre a été une vraie révélation, c’est ça que je voulais faire et je l’ai fait. J’ai développé de nombreux ateliers et j’ai aussi beaucoup travaillé avec mon amie comédienne. C’est avec elle que j’ai découvert l’écriture dramatique puisque l’on travaillait avec des textes d’auteurs contemporains et on a participé à de nombreuses manifestations et rencontres autour de l’écriture dramatique.  
Pour vous le théâtre et l’écriture sont liés ?  
Complètement. Même si un metteur en scène n’est pas forcément un auteur ou vice versa, il me paraît difficile par exemple de ne pas connaître l’écriture dramatique si on veut développer des ateliers de théâtre ou intervenir sur de la mise en scène. Les deux univers sont liés car on ne fait rien sans texte, et en fonction de ce que l’on veut mettre en scène il y a des auteurs de théâtre qui ont une écriture difficile à mettre en scène mais qui ne sont pas insurmontables si on sait lire justement ces écritures... En tout cas pour moi connaître l’écriture dramatique m’aide dans le choix des textes, dans la mise en scène et puis surtout dans le déroulement des ateliers d’écriture puisque ce n’est pas la même façon d’écrire.  
Oui d’ailleurs vous avez une formation d’animateur d’atelier d’écriture ? Avez-vous était formée à l’écriture dramatique ? 
Non pas dans le cadre de cette formation. L’écriture dramatique a été abordée mais cela représentait juste un module d’une journée. J’ai appris seule, en lisant, en participant à des stages, en rencontrant des personnes qui ont su m’éclairer sur cette écriture qui a énormément évolué et qui aujourd’hui reste quand même un univers peu lu et peu diffusé. 
Ecrire ne s’apprend pas. Par contre il y a des choses à savoir en écriture dramatique, un texte littéraire n’a pas la même structure qu’un texte de théâtre, même si actuellement on trouve des textes de théâtre qui sont dépourvus des repères que l’on avait l’habitude d’avoir, il n’en reste pas moins que les mots, les phrases, la ponctuation nous indiquent qu’il s’agit d’un texte qui pourrait être mis en scène. Et c’est en ça que j’aime les nouvelles écritures dramatiques, car tout est permis. 
On a l’impression que c’est facile mais en fait les phrases comme les mots, comme la mise en page n’’ont rien d’anodin. Je trouve ça fabuleux et donc oui c’est bien de savoir comment un texte de théâtre se construit. 
Que diriez-vous des nouvelles écritures dramatiques ? 
Etant donné que j’ai appris sans passer par les universités et j’apprends encore chaque jour d’ailleurs, peut-être que mes déductions, mes intuitions ne seront pas à la hauteur de certains. Mais c’est pas grave je veux bien un retour de réponse !!! 
Quand j’étudie l’évolution des écritures dramatiques, je me dis que le texte de théâtre en Europe s’est transformé avec l’évolution des sociétés. Je m’explique. Aujourd’hui on trouve des textes qui reflètent, qui transcrivent l’univers de nos quotidiens dans tout milieu social confondu. Le langage, les expressions, les décors, les situations, les thèmes, même si un auteur choisi de parler d’un événement qui s’est déroulé en 1950 par exemple, on va trouver dans son texte une forme d’écriture, un langage, un espace utilisé qui n’a rien à voir avec l’époque dont il parle. 
Ca c’est formidable !!! Et quand c’est bien mis en scène c’est magique. Et puisque j’étudie aussi l’écriture dramatique d’Afrique ; je dirais plutôt l’écriture dramatique d’auteurs Africains... c’est une autre discussion mais aujourd’hui la question de l’identité des textes provenant d’auteurs d’origine Africaine est souvent soulevée, alors que pour moi il y a des textes de théâtre écrits par des auteurs Africains ou d’origine africaine qui ont chacun leur spécificité et leur univers... 
Bref l’évolution des écritures dramatiques d’Afrique s’est faite avec la décolonisation. Je dirais qu’il y a eu une émancipation dans l’écriture en même temps que l’émancipation de l’homme de couleur sur l’homme blanc. Emancipation, évolution et surtout récupération d’une identité volée. Parce qu’en fait en Afrique l’écriture existait bien avant la colonisation, tout comme le théâtre, et on assiste depuis quelques années à la récupération d’une langue qui a été déformée, mise de côté au profit de la langue de Molière. 
Les auteurs d’Afrique occupent l’espace de l’écriture et de la scène avec leur propre identité, leur langage, leur culture entre ici et là-bas ou entre là-bas et ici... C’est en ça que je dis que le théâtre est étroitement lié à l’écriture dramatique. Bien sur ce ne sont que mes déductions, mes analyses, faites à partir des nombreuses lectures et rencontres, stages... 

On trouve l’Afrique très présente dans votre parcours, à quoi est-ce dû ? 

Tout d’abord je suis née au Tchad, et je suis rentrée en France à l’âge de 12 ans. Ca aide !! J’ai vécu en Côte-d’Ivoire, aux Antilles, et j’ai moi même par la suite voyagé au Gabon, au Sénégal, au Burkina-Faso... L’Afrique est ma terre et ma patrie de coeur, alors est-ce que cela est dû à mon enfance, sans doute, mais quand on aime l’Afrique on aime l’Afrique c’est tout.  

Vous allez intervenir en tant que formatrice dans le cadre du Chantier Panafricain d’écriture Dramatique des femmes qui se déroule au Tchad. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet ?  

C’est un chantier qui existe depuis quelques années et qui regroupe plusieurs formations. L’écriture dramatique, le théâtre, la scénographie et la lumière. C’est effectivement réservé aux femmes vivant en Afrique. Pourquoi parce qu’en fait très peu de femmes africaines travaillent dans le monde du spectacle. Et encore moins en tant qu’auteurs ou metteurs en scène ou scénographes. 
Je parle des femmes qui vivent en Afrique, l’opportunité de faire une formation est très limité. Elles sont le pilier de la famille et ont de ce fait peu d’opportunités à s’engager dans une démarche professionnelle liée au monde du spectacle vivant.  

Vous allez donc former des femmes à l’écriture dramatique, comment pensez-vous procéder ?  

Sous forme d’atelier d’écriture avec comme support des textes d’auteurs. J’ai proposé trois axes de travail, un panorama des écritures contemporaines dramatiques d’Europe, un panorama des écritures dramatiques d’Afrique, et la question : Ecriture dramatique africaine et écriture dramatique européenne, ont-elles leurs propres identités ? 
Tout en travaillant sur l’écriture dramatique je leur propose un état des lieux des écritures. Parce qu’il me semble important comme je l’ai expliqué de connaître l’évolution de ces écritures. Et puis je mélange aussi la mise en espace des textes produits, histoire d’entendre ce que l’on écrit et de réajuster, retravailler les textes.  

Quels sont les objectifs de cette formation, pourquoi le théâtre et l’écriture ? 

Le Chantier Panafricain d’Ecriture Dramatique vise à offrir aux femmes une plate forme de rencontres, d’échanges, de créations et de permettre ainsi l’émergence d’une nouvelle génération de femmes dramaturges, scénographes, metteurs en scène, cela ne peut que les encourager à s’investir. Peu de structures proposent la rencontre soit par un manque de moyens ou de locaux, mais cela change aussi énormément, de plus en plus des actions sont développées pour offrir une ouverture du monde du spectacle vivant en Afrique. 
Je suis très heureuse d’intervenir dans le cadre de cette formation, parce que je pense apprendre autant qu’elles vont apprendre. Je trouve cette démarche très encourageante, si les femmes qui vivent en Afrique peuvent elles aussi trouver une place dans le milieu artistique sans forcément s’exiler, c’est merveilleux !! 
Et puis je suis aussi très impatiente de rencontrer Werewere Liking, elle contribue énormément à l’évolution des femmes et des hommes dans le monde du spectacle vivant, c’est une femme et un auteur formidable. 
Les intervenants pour ce chantier sont tous déjà impliquer dans le processus d’enseignement artistique en Afrique, moi j’interviens pour la première fois et je suis vraiment très reconnaissante que le directeur de ce projet m’est sélectionnée, c’est une opportunité qui me comble. 
Quand on sait que malgré la montée d’une nouvelle génération d'auteurs dramatiques contemporains africains dont les œuvres animent l'espace théâtral de nos jours et que malheureusement on constate la quasi absence des femmes dans le champ de l'écriture dramatique voire dans les autres métiers du théâtre, on ne peut qu’être fière de participer à ces rencontres..

Réponse à un appel à contribution
« Former aux ateliers d’écriture à l’université, vingt ans après : métamorphoses, pratiques, perspectives » 
Forums – tables rondes – discussion – ateliers d’écriture

L'atelier d'écriture et ses marges
Depuis plusieurs décennies, les ateliers d'écriture se sont développés en ville, à l'hôpital, à l'école ou à l'université.
On s'interrogera sur les formes nouvelles qu'ils peuvent prendre pour échapper à une conception académique et s’aventurer dans les marges.
On étudiera notamment les nouveaux lieux et les nouveaux destinataires de l’écriture créative : un salon d'écriture mené par une plasticienne, un atelier en hôpital psychiatrique mené par une psychologue clinicienne, des patients hospitalisés, une écriture à domicile...
Quels déplacements, quels remaniements sont à l’œuvre dans ces nouveaux types d'ateliers ?
L’attention sera portée sur le caractère plastique, protéiforme, du projet d'écriture présenté par l'animateur, sur l’aventure singulière où il s’engage avec les participants :
on se demandera dans quelle mesure la singularité de cette aventure et le questionnement qu’elle porte modifient les règles classiques de l'atelier d'écriture.
Quels questionnements la pratique de ces ateliers en marge, les nouvelles formes de créativité qu’elle fait émerger adressent-elles à l’animateur plus classique ?

Le langage de l'encre – Une écriture dans le silence

Aéroport d'Alger en transit

J'écris sans le son. J'observe, je regarde les gestes, les mots qui sortent des lèvres. 
Que perçoit-on dans le silence ? 
Si l'écriture a besoin du silence, si les bruits perturbent, alors écrire sans le son devrait donner naissance à des textes emprunts de certaines richesses non maîtrisable pour ceux qui n'écrivent pas dans le silence ? 
Quand je parle ici de silence, je fais référence aux personnes sourdes qui vivent dans cet univers que l'on ne pourra jamais ressentir. S'en approcher au plus près ?

J'essaie de ne rien entendre, de me plonger dans le mutisme le plus total. Habiter ce monde, l'apprivoiser. 
Alors il faudrait tout observer, tout écrire pour donner de la matière aux récits ? 
Tout m'interpelle, les valises sur roulettes, la machine à café, les gens qui discutent, les enfants qui jouent, les talons sur le sol. 
Comment décrire sans entendre ? 
Détailler, raconter chaque mouvements ?

Dans les ateliers d'écriture il est question de conception académique et il est question d'écriture en marge pour sortir de cette conception. Pourquoi dès lors qu'il y a naissance d'une forme nouvelle d'atelier d'écriture, ne s'inscrivant pas dans ce champ académique, elle s'inscrit automatiquement dans une écriture en marge ?
Comment faire entendre ce que l'on vit ?
Je parlerai ici plutôt d'une autre écriture.
D'autres mots, d'autres textes qui naissent dans un contexte particulier. Car évoquer une écriture en marge, ne serait-ce pas mettre les écrivants de côté ?
Autant de questions qui me submergent avant de commencer les ateliers d'écriture avec l'association des sourds et muets que j'ai rencontré l'année précédente au Burkina-Faso.
Or développer des ateliers d'écriture n'est-ce pas une pratique permettant une insertion, un partage, une rencontre ?
Nouveaux lieux, nouvelles formes, nouveaux destinataires, peut importe je dirai car ce qui donne du sens aux ateliers se sont les textes. 
Là ou je rejoins l'idée d'une écriture en marge, c'est la singularité de ces textes qui sont écrits par des personnes vivant dans un contexte différent.
Pour ma part il n'y a pas de modification des règles par rapport à un atelier classique.

Et puis qu'est-ce qu'un atelier classique ? 

Plutôt que des questionnements qui modifieraient ces règles dites classiques, je m'intérroge davantage sur la forme et la création des textes issus d'un atelier que l'on place en marge.
Ces règles que l'on évoque lors des atelier sont-elles différentes parce que l'on interviendrait dans un atelier hors du champ académique ?
Les aventures des ateliers d'écriture sont des voyages qui posent questions quelque soit la forme, les lieux, les destinataires.
C'est à travers ces intérrogations que je retrace ici une expérience pour certain, un atelier d'écriture autrement pour moi. Ce récit fait état d'un atelier que j'ai conduis avec des personnes malentandantes à Bobo-Dioulaso au Burkina-Faso. Adultes et enfants ont participé durant une semaine à un atelier d'écriture autour de la littérature du Burkina.

Point de départ – Naissance du projet

Ma rencontre avec l'association des sourds et muets du Faso, c'est faite par hasard.
Je m'étais rendu au Burkina pour diffuser une série de reportages sur les écoles, que j'avais réalisé l'année précédente.
C'est en rentrant dans une boutique que j'ai rencontré un groupe de personnes et le responsable. Ils signaient tous, sauf un qui me traduisait leur langue.
En discutant avec eux, je me rends compte qu' ils savent écrire, car c'est sur un bout de papier que le responsable communique avec moi. Je ne me suis pas posée de question, j'ai demandé immédiatement s'ils seraient intéressés et capable de participer à un atelier d'écriture.
Pour moi à partir du moment où ils savaient écrire ils pouvaient participer à un atelier. C'est ainsi que l'aventure à commencé.
Un an de correspondance par mail pour mettre en place « Le Langage de l'encre ».
Un projet qui s'est construit grâce à eux. Ils ont trouvé l'espace de travail, ils ont mobilisé tous ceux qui savaient écrire, adultes, enfants.
Notre association « Images d'Ailleurs » avait pour objectif d'éditer un recueil de textes issus de cet atelier afin d'apporter une aide à la réalisation de leur centre de formation.
Aujourd'hui seul un film a été réalisé et leur a été remis pour qu'ils puissent continuer leur projet.
Le manque de financement ne nous a pas permis de poursuivre notre objectif.
Cependant l'écriture d'une pièce de théâtre à partir des textes et du silence est en cours.
Ce projet s'est déroulé en 2009, nous sommes toujours en contact.
Leur association « Les sourds conscients du Faso » s'est crée en 2006 afin d'aider collectivement les personnes sourdes, à faire face à de nombreuses difficultés, telles que la recherche d'emploi, les problèmes financiers, matériels et administratifs, l'accès aux activités sportives, culturelles et éducatives.
Leur volonté est de créer un centre de formation artisanale et touristique pour jeunes sourds.

La mise en place de l'atelier

Si l'idée de mettre en place un atelier d'écriture avec des personnes malentantes s'est décidée au coin d'une rue dans une boutique de souvenir, j'avais décidé par la suite de ne pas apprendre à signer.
Je m'interrogeais déjà sur la forme que cela pourrait prendre. Un traducteur qui signe ce que je dis, l'écriture des participants suite à mes consignes et la lecture traduite par l'interprête.
Un circuit qui me fascinait et qui me fascine toujours.
Ne maîtrisant donc pas du tout le langage des signes, j'appris que ici en Afrique c'est la langue des signes américain et non française.
J'avais déjà deux langues différentes dans une même.
De plus les personnes qui n'ont pas eu la chance d'aller à l'école pour apprendre à signer, se sont construit leur propre langage. Ce qu'ils nomment le langage Dioula, la langue du pays.
Ce sont les signes de la vie courante, les gens la comprenne parce qu'elle est simple et presque naturelle.
Après un an de correspondance, je rencontre le groupe. Les questions fusent, avec des inquiétudes liées à l'écriture. Laurent, l'interprète, transmet.
Les regards sont attentifs, attentionnés à ce que je dis.
Je ne sais pas comment m'y prendre au départ.
Est-ce qu'il faut que je marque des temps pour que Laurant traduise ?
Finalement il me dit de parler et lui traduit en même temps. La discussion s'est ainsi faite. Je n'ai pas cherché à comprendre ce qu'ils disaient, les expressions sur les visages me suffisaient.
Je ne me rends pas bien compte de la difficulté. Le plus difficile c'est évidemment la communication lorsque l'on ne pratique pas le langage des signes.
Une discussion entre deux personnes se fait à trois. Je sais que pendant l'atelier mes paroles vont d'abord passer par Laurent, et c'est ça qui m'interpelle. Bien plus que de ne pas connaître les signes.

Les signes et les mots

Si je n'ai pas voulu en savoir davantage sur le langage des signes, c'est parce que je suis partie du principe que cet atelier était un atelier comme les autres.
Un animateur, des écrivants, un contexte, des consignes, des textes et des lectures.
Il ne m'est jamais venu à l'esprit que faire écrire des personnes malentendantes pourrait s'inscrire dans un atelier dit « en marge ».
Même s'il faut admettre que la forme diffère, la pratique, la mise en place, les règles, le rôle de l'animateur sont exactement les mêmes que n'importe quel atelier d'écriture.
J'ai appris que les signes diffèrent, par exemple pour dire merci on utilise les deux mains, alors qu'en France ce n'est qu'avec une seule.
Je me rends compte qu'il m'est tout à fait facile de discuter et qu'il existe une réelle mixité entre les personnes sourdes et non sourdes.
Il y avait là déjà, un mélange de langage, une intégration qui se fait naturellement.
C'est sans doute pour cela que je n'ai eu aucune difficulté à mettre en place cet atelier d'écriture.

Notes et commentaires ou le journal d'un atelier

Mercredi
Je me surprends à parler davantage avec les mains.
Ce qui est le plus difficile en fait c'est de ne pas regarder les gens.
En tout cas pour ma part je me concentrais sur les mains. Petit à petit je pénètre ce monde du silence, j'apprends quelques signes en utilisant mes deux mains, une technique à prendre.
Avant de commencer les séances d'écritures le lendemain, j'ai réunis les participants pour leur expliquer le fonctionnement d'un atelier, le principe et les quelques règles.
Pratique que je fais dans tous mes ateliers. Je ne me suis pas intérrogée sur d'éventuelles modifications qui pourraient avoir lieu, justement de par la singularité de cet atelier.
Ma position d'animateur est restée la même. Il y avait juste l'inquiétude de pouvoir être suffisament claire et explicite dans mes propos et mes consignes.

Jeudi
Démarrage de l'atelier par l'introduction de la littérature africaine. Laurent traduit en même temps. Il interprète en direct et on finit ensemble, lui sur un signe et moi sur une fin de phrase.
Je donne la première consigne.
Le silence, différent du silence que l'on cotoie auprès de ce public.
Ce silence là, marquait une attention palpable, les regards surpris de certains me font sourire.
Je pense qu'ils vivent une réelle expérience.
Et puis chacun écrit. Les stylos glissent, les têtes se lèvent. Certains se sont éparpillés puisque je leur ai donné un temps d'écriture.
Laurent me dit qu'ils écrivent en partant de la fin. Je lierai les textes.
Laurent passe voir certains pour leur donner plus d'explication. Un rôle que je suis bien obligée de confier.
Je n'y avais pas pensé, mais il est vrai que l'intervention de l'interprète va au-delà de la traduction.
Il est là pour les accompagner et les guider.
En fait on est deux. Je n'ai pas été frustrée de ne pas pouvoir jouer mon rôle d'animateur, au contraire j'ai trouvé ce duo extrèmement riche.
J'intervenais quand il y avait une explication ou une précision a apporter.
Il avait la maîtrise des signes et j'avais le temps d'observer, de deviner. C'est sans doute là, le point essentiel de cet atelier singulier.
Le questionnement autour du rôle de l'animateur ?
Pour ma part, la seule intérrogation serait de me demander si les participants recoivent suffisament de soutien de l'interprète pour comprendre les consignes et développer leur écriture, lui qui n'est pas du tout animateur d'atelier d'écriture.
Est-ce que cela a remis en cause mon rôle d'animateur ?

Non pas du tout. J'ai répondu avec Laurent aux inquiétudes et aux incompréhension de chacun.

Vendredi
Ce matin, continuité d'un aperçu de la littérature du Burkina-Faso et consignes d'écriture autour des masques.
Dans la cours des Bambous, un poste de radio diffuse une musique, Une maman communique par signe avec son bébé, il rigole et fait des grimaces.
Souvent certains demandent comment écrire un mot par rapport au langage des signes.
Quand il y a un mot qu'ils ne savent pas signer, ils l'épellent avec l'alphabet des signes pour pouvoir l'écrire en langue française.
Pour la lecture des textes, je constate que chacun signe son texte. Laurent traduit donc les signes mais ne lit pas ce qu'il y a écrit sur le cahier.
J'ai donc deux versions, un texte écrit et un texte oralisé.
Est-ce que les mots changent lors de la traduction ?

Il faut que je fasse des photocopies pour qu'ils voient et comprennent les différents styles d'écriture et les formes. Est-ce que la lecture est une activité développé chez les sourds ?
Un homme fait des signes devant son cahier.
Je pense qu'il doit épeller le mot pour l'écrire.

Samedi
Ce matin, écrire des choses que l'on a pas l'habitude de dire, des choses que l'on ne dit jamais, en s'adressant à une personne de son choix.
C'est leur demander un effort, un lacher prise. Aller chercher au fond de soi, des blessures, des non-dits, se laisser aller à exprimer des sentiments enfouis depuis longtemps.
Les regards sont plongés dans le vide.
Je leur ai donné une heure.
Je suis allée chercher des sandwichs et de l'eau. Aucun n'a bougé de sa place. Ils ont continué à écrire en mangeant. C'est étrange, ils restent assis et poursuivre l'écriture de leur texte. Certains sourient, d'autres éppellent les mots.
Par moment lorsque j'explique ou lors d'une intervention pour des informations supplémentaires, le choix des mots est difficile, parce que je veux être sûre qu'ils comprennent ce que je veux dire.
A chaque fin de séance, après les lectures, je leur demande comment ils ont vécu l'atelier. Ils me disent que ce sont des choses qu'ils n'ont jamais faites et expriment le souhait d'en savoir plus sur les techniques d'écriture.

Entre le français et la langue des signes, une écriture visuelle

Le voyage des mots et des signes
Je savais, avant même de me lancer dans ce voyage, que cet atelier donnerait naissance à plusieurs textes.
Un circuit en boucle que l'on peut décripter, signer, arranger, modifier.
Premier voyage des mots
Mon explication, ma lecture d'un texte et ma consigne.

Deuxième voyage des mots
Traduction du français en langue des signes
Les signes de cette traduction sont mis en application pour l'écriture d'un texte
Troisième voyage des mots
Quatrième voyage des mots
Lecture en signe du texte
Cinquième voyage des mots
Traduction des signes en français pour que je comprenne

Quand le récit de ce qui a été écrit m'est traduit par Laurent, je vois bien qu'il ne lit pas sur le cahier, il traduit les signes et fais des phrases.Autrement dit j'ai une autre version, une histoire oralisée.
Ce voyage des mots, ce décalage entre le texte et les signes ou encore l'absence d'une maîtrise totale de l'animateur pendant son atelier, soulève sans doute pour certains la question des modifications des règles dans ce type d'atelier.
En ce qui me concerne, aucune règle n'a été modifiée. Je n'ai pas cherché à adapter l'atelier d'écriture pour un public sourds, dailleurs j'avais dans le groupe des personnes non sourdes. 
Ce qui me fascine c'est ce voyage, cette circulation de mots et de phrases qui peuvent avoir tellement de sens, suivant la personne qui va interpréter les signes.

Ecrire dans sa langue ou une écriture à l'image d'une pièce de théâtre

Dans la langue des signes, il n'y a pas un mot pour un signe, il y a un concept. 
C'est à dire quelque chose à traduire. Il n'y a pas non plus de déterminant, il y a une configuration, une orientation, quelque chose d'iconique qui représente la forme.
Par exemple pour dire « que fait-on ? », en français il y a trois mot, en langue des signes on va avoir un signe et une expression de visage (remonter les sourcils) pour l'intérogation.
Ecrire dans sa langue prend ici tout son sens. J'avais déjà travaillé sur cette thématique et j'avais des textes qui n'allaient pas au plus près du langage que l'on utilise.
Avec des personnes sourdes, cette thématique est pour ainsi dire naturelle. Il n'y a pas non plus de terminaison verbale, pas de féminin, masculin, singulier, pluriel.
La syntaxe est très particulière, c'est une syntaxe visuelle.

La langue des signes fonctionne comme si l'on mettait en scène une pièce de théâtre. On place le temps, le lieu ensuite des objets, des personnes et ensuite des actions entre les objets, les personnes, les décors.
Lorsqu'ils écrivent on retrouve cet ordre, ce qui donne parfois des textes écrits à la façon petit nègre, ou il peut arriver que l'on ne comprenne pas le sens, faute d'absence des mots de liaison.
Ecrire dans sa langue c'est donc tout simplement une action complètement normal, puisqu'ils signent ainsi.
Ce sont des mots phrases.
C'est pour cela que Laurent me disait qu'ils écrivent à l'envers. Et c'est aussi pour cela qu'il ne lisait pas, car chez certain, les textes sont illisibles.
Ce qui a du sens en langue des signes, n'en a pas forcément en français.
En sachant qu'en langue des signes, la configuration de la main, l'orientation de la paume, et le mouvement vont permettre de distinguer un mot ou une expression d'une autre. Selon la posture on parlera au présent ou au future ou au passé.
Tout passe par le corps. C'est une langue visuelle, et pour ceux qui ont été à l'école on retrouve parfois quelques mots de liaison.
Quand ils apprennent le langage des signes, ils ne vont pas forcément apprendre le français, cela va dépendre de la famille.
Les participants à mon atelier au Burkina sont des personnes qui ne sont pas nées sourdres, elles le sont devenues à cause de la maladie.
De ce fait j'ai eu des textes très bien construit, car ils ont pour la plus part été à l'école dans leur enfance.
Chez certains je constate qu'il y a un mélange avec la construction de la langue des signes.
Certains mots ne sont pas placés au bon endroit, pour d'autres il n'est pas possible de comprendre.

Déductions et questionnements émergeants de cet atelier

Pour qu'une interprétation en signe donne une beauté au texte, il faut écrire en pensant en langue des signes.
Lorsque certains s'attachent trop à la bonne construction du texte en français, les émotions ne sont plus traduites car ils sont trop sur le déchiffrage.
La compréhension du sens n'est plus perceptible.
La mixité de mon atelier a permi à tous de découvrir une pratique culturelle sans que personne ne se sente en marge. Car après tout, qui des sourds ou des non sourds pourraient être en marge ?
Cette diversité culturelle me conforte dans le fait, que tout atelier quelque soit la forme, les lieux et les participants ne s'inscrit pas dans une écriture en marge, mais bel et bien dans une écriture différente.
Ici la langue se déplace, se déforme, se donne en spectacle disparaît et peut se reformer par la beauté d'un signe.
Elle peut se dissoudre et se perdre avec les gestes comme elle peut reprendre vie sur une feuille de papier.
De quelques mots on passe à une interprétation, entre les deux, des phrases mots ou des bouts de phrases qui n'auront de sens qu'en langage des signes.
Et en fonction du traducteur, un texte peut être écrit de façon très littéraire.

N'auront-on pas là une histoire de traduction ?
Ne pourrait-on pas dire qu'il s'agit d'un atelier en langue étrangère ?
La question de la réécriture est ici très intéressante et à mon sens très riche.
Le côté protéiforme de cet atelier réside dans le fait qu'il fait naître des textes dans une langue différente et pourtant issus de la même langue.
Cette boucle que j'évoquais plus haut fait état de la transformation, de la traduction, de la réécriture, de la visibilité des mots.
D'un langage visuel on passe à un langage textuel.
Je m'intérroge davantage sur comment faire pour travailler ce remaniement des mots pour donner du sens à ces textes tout en gardant le sens que les participants ont voulu exprimer.
Quand je dis comment, je parle ici d'une possibilité concrète d'intervenir avec un public malentendant.
Car en France les choses sont beaucoup plus compliqué.
On ne peut pas intervenir comme ça.

Est-ce que le fait de penser en langue des signes pour écrire est plus facile ?
Pour certain oui, encore faut-il accepté d'écrire « façon petit nègre » car automatique c'est ce qu'il se produit. Et de là on passe d'une langue à une autre, d'un texte à un autre voir d'une histoire à une autre.
C'est tout simplement merveilleux d'avoir une matière si riche. N'est-ce pas ce que l'on aime en tant qu'animateur ?
Faire naître des textes, les faire évoluer et voyager ?
En ce qui me concerne, il n'y a pas d'animateur d'atelier d'écriture classique, comme il n'y a pas d'atelier d'écriture classique.
Il y a des participants, des lieux, des interventions différentes et la magie de bousculer les mots, d'inventer un langage, de rencontrer des langues, de jouer avec cette matière qui peut nous glisser des doigts, partir on ne s'est où pour enfin la retrouver sous une autre forme.